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17/10/2023
Vers un accompagnement « inclusif » des adultes handicapé·es dans la formation professionnelle ?
Les politiques dites « inclusives » visent à privilégier l’accueil des personnes handicapées dans le milieu ordinaire plutôt qu’en établissements spécialisés. Tout comme dans la formation initiale, cette dynamique se développe dans la formation professionnelle des adultes en recherche d’emploi. Ce Céreq Bref se penche ainsi sur une offre de compensation du handicap, le dispositif Formation Accompagnée, expérimenté en Normandie et en cours d’essaimage sur tout le territoire. L’évaluation pointe les enjeux de la prise en compte effective des limitations de capacités des stagiaires, et du périmètre des expertises des professionnel·les chargé·es de les accompagner durant leur parcours de formation.
Les personnes administrativement reconnues comme handicapées, proportionnellement moins diplômées et davantage au chômage que les personnes dites « valides » [1], sont l’objet d’une attention forte des pouvoirs publics dans les récentes politiques de l’emploi [2]. Ces personnes peuvent prétendre à diverses politiques de compensation du handicap, spécialement lorsqu’elles sont demandeuses d’emploi et souhaitent accéder à une formation. Deux voies s’offrent alors à elles. La majorité intègre un organisme de formation de droit commun, avec des aides telles que les prestations d’appui spécifique (PAS)*, l’aide à l’adaptation des situations de formation (aménagement des supports, sensibilisation du collectif, etc.) ou la ressource handicap formation**. Les personnes jugées comme ayant plus de limitations de capacités vont rejoindre l’un des 79 établissements et services de réadaptation professionnelle (ESRP) présents sur le territoire français, où 200 formations qualifiantes sont délivrées [3]. Dans ces établissements spécialisés, des formateur·trices et des professionnel·les (infirmier·ère, psychologue, ergothérapeute, etc.) se côtoient et développent une expertise pédagogique et médico-sociale dans la prise en compte du handicap dans les parcours de formation (cf. encadré 1).
Depuis quelques années, une troisième voie « innovante » émerge : la formation accompagnée. Elle consiste à proposer aux stagiaires de se former dans un organisme de droit commun, avec un accompagnement médico-social individualisé, mis en œuvre « hors les murs » par les personnels des ESRP. Ce dispositif étend à la formation professionnelle l’injonction à l’inclusion des personnes reconnues handicapées déjà à l’œuvre dans la formation initiale : il est attendu que leur accueil se fasse en priorité dans le milieu ordinaire et non spécialisé. Quelles sont les promesses du dispositif Formation Accompagnée ? Pour les stagiaires, il ouvre l’accès à des organismes de formation à proximité de leur domicile, et à une offre nettement plus diversifiée que celle des ESRP. Pour les formateur·trices du droit commun, il permet de se professionnaliser davantage à l’individualisation des parcours des stagiaires handicapé·es. C’est pourquoi le dispositif a été estampillé comme expérimental, susceptible de « transformer en profondeur l’offre de formation » pour les publics dits « vulnérables », dans une déclinaison régionale du Plan d’investissement dans les compétences (PIC) en Normandie.
Alors que le dispositif est en passe d’être généralisé sur tout le territoire, le Céreq livre les principaux résultats de l’évaluation qualitative de son déploiement en Normandie (cf. encadré 2). Quels sont les contours de cette troisième voie d’accès à la formation professionnelle pour les personnes handicapées ? Quelles plus-values apportent les ESRP dans cette politique d’inclusion ?
* Les PAS permettent de faire expertiser les conséquences d’un handicap pour repérer les modalités de compensation et aménagements à mettre en place.
** La RHF est une offre de services « ponctuelle » à destination des organismes de formation et des CFA, qui couvre 3 volets : professionnalisation, accessibilité et compensation.
SOMMAIRE
- Un accompagnement médico-social pour « sécuriser » les parcours de formation
- Un déploiement heurté et des formations moins diversifiées qu’attendu
- Un accompagnement soutenant où les référentes parcours jouent le premier rôle
- Un ancrage territorial qui semble en voie de normalisation
- Une individualisation pédagogique inachevée malgré des sollicitations plus fréquentes
- Conclusion
- Pour en savoir plus
Un accompagnement médico-social pour « sécuriser » les parcours de formation
L’ambition du dispositif Formation Accompagnée (DFA) est de faciliter l’accès à la formation professionnelle qualifiante en milieu ordinaire pour les personnes reconnues handicapées. Cette ouverture des possibles passe par la mise en œuvre d’un accompagnement médico-social durant la formation, coordonné par des « référent·es parcours » issu·es des établissements spécialisés. Pour avoir droit à cette nouvelle prestation « hors les murs » des ESRP, le ou la stagiaire doit être reconnu·e éligible par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) avant l’entrée en formation. Les « référent·es parcours » apportent un soutien « gradué » aux stagiaires (entretiens fréquents, coaching, veille par SMS et/ou appel), sollicitent des interventions médico-sociales des professionnel·les de l’ESRP (suivi psychologique pour « vaincre le stress », bilan d’un·e ergothérapeute pour adapter les postes de travail, assistance dans la demande d’aides sociales, etc.) et sensibilisent les formateur·trices du droit commun aux aménagements souhaitables pour compenser le handicap. Ces modalités varient selon les besoins identifiés à l’entrée du dispositif et les difficultés rencontrées (problème relationnel, fatigue, approche des examens, etc.).
Le DFA s’adresse à des stagiaires aux profils multiples, avec des « fragilités » de différentes natures. Au-delà de « sécuriser » le parcours d’apprentissage et prévenir les ruptures, le dispositif vise à permettre l’accès à une offre plus large de formation. À son lancement, le DFA concerne potentiellement deux groupes de personnes reconnues handicapées. D’une part, celles qui sont accueillies dans une formation de droit commun mais que l’on estime à risque d’abandon, en dépit des modalités de compensation du handicap existantes. D’autre part, celles qui, sans le DFA, se seraient restreintes aux seules formations délivrées dans les ESRP, possiblement éloignées de leur domicile. Le DFA vise ainsi un public hétérogène et interstitiel : à la fois jugé trop « vulnérable » et « précaire » pour être convenablement pris en charge dans le droit commun, et vu comme suffisamment « autonome » pour ne pas relever du secteur spécialisé.
Un déploiement heurté et des formations moins diversifiées qu’attendu
Lors de son lancement en janvier 2019, le DFA prolonge une histoire normande : ce dispositif circonscrit initialement à Caen se généralise sur l’ensemble de la région (cf. encadré 3). Pour s’intégrer dans l’offre préexistante de compensation, ce dispositif doit convaincre à la fois les prescripteurs (les acteurs du Service public de l’emploi) et les régulateurs (les cinq MDPH, chargées de valider ou non l’entrée en formation via le DFA). L’objectif « ambitieux » de 230 parcours accompagnés chaque année à l’horizon de 2023 est annoncé.
L’un des premiers constats de l’évaluation est que le DFA n’a pas atteint ses objectifs quantitatifs initiaux : 77 stagiaires ont été accompagné·es en formation entre janvier 2019 et juillet 2022 (âge moyen de 38 ans et 62 % de femmes). Néanmoins, les ESRP mettent d’abord en avant la constante progression des suivis, et ensuite le poids important de la file active, celle des personnes finalement non orientées vers le DFA, qui représentent une part notable, et initialement sous-estimée, de leur activité. Si la pandémie de Covid-19 a contribué à ce démarrage compliqué du dispositif, rien ne laisse penser qu’il aurait eu la capacité d’atteindre davantage ses objectifs quantitatifs au cours des premières années, notamment en raison des tensions identifiées avec les partenaires.
Les niveaux et filières de formation suivies n’ont pas été aussi variés qu’escompté, et les stagiaires obtiennent principalement des titres professionnels en quelques mois (80 %) plutôt que des diplômes aux temps de formation plus longs (CAP, BTS, diplôme d’État, etc.). Plus d’une formation sur deux s’est effectuée dans une filière tertiaire autour de deux titres professionnels : ceux de secrétaire assistant·e et de secrétaire comptable. Quelques formations dans le secteur de la propreté ou du sanitaire et social sont à noter. Les Greta et les AFPA ont accueilli 63 % des stagiaires du DFA. Les parcours sont polarisés autour des villes de Caen et Rouen, à l’image de l’offre principale de formation qualifiante de droit commun. Depuis septembre 2022, le DFA est ouvert à l’apprentissage.
Un accompagnement soutenant où les référentes parcours jouent le premier rôle
Au-delà de ces éléments quantitatifs, les personnes suivies soulignent l’utilité de l’accompagnement apporté. Toutes décrivent d’abord un environnement de formation au rythme dense et aux attendus exigeants, auxquels s’ajoute régulièrement l’expérience de discriminations liées au handicap. Face à ce contexte éprouvant, elles témoignent d’une même satisfaction de l’accompagnement médico-social obtenu : les interventions des professionnel·les des ESRP ont de toute évidence permis de prévenir parfois des ruptures de parcours. Surtout, les usager·ères soulignent l’importance de la relation tissée avec les référentes parcours. Dans une situation vécue comme déstabilisante, cette relation se révèle comme une ressource contre l’isolement, un espace d’expression permettant d’extérioriser et de faire entendre les difficultés vécues au sein des organismes de formation. Les activités de travail de ces référentes présentent une grande hétérogénéité : à la fois dans la diversité des tâches effectuées et dans l’adaptation de celles-ci aux besoins de chaque stagiaire accompagné·e. Leur engagement dans ce travail relationnel varie selon les profils des stagiaires, allant d’une protection hautement rapprochée à une veille avec des contacts ponctuels.
La mobilisation des professionnel·les médico-sociaux s’est en revanche avérée plus délicate. Au cours des premières années, leurs interventions étaient régulièrement restreintes à la seule phase de diagnostic (notamment pour argumenter le dossier soumis à la MDPH), souvent par manque de disponibilités. Intervenir à distance des « murs » de leur ESRP n’a pas été aisé ; de même quand les stagiaires disposaient déjà, et par ailleurs, d’un suivi (psychologique par exemple). Dans les territoires éloignés des locaux des deux ESRP, des conventions ont d’ailleurs progressivement été établies avec des intervenant·es extérieur·es. Les référentes parcours ont généralement compensé ces indisponibilités, devenant davantage des accompagnatrices que les coordinatrices de parcours attendues initialement pour « tirer des ficelles et activer des besoins ».
Un ancrage territorial qui semble en voie de normalisation
Le DFA a rencontré plusieurs obstacles venus freiner son essor régional, notamment des recours dissemblables et peu anticipés entre les territoires. Durant les premières années, les ESRP ont fortement peiné à embarquer les partenaires que sont les Cap emploi (alors engagés dans un processus de rapprochement avec Pôle emploi) et les MDPH. Nous avons observé chez ces deux acteurs des distinctions notables dans leurs façons d’identifier le public cible et le besoin auquel le DFA pouvait répondre. Ces partenaires ont craint de se voir disputer leurs propres expertises. S’en sont suivis, selon les lieux de résidence des demandeur·ses d’emploi handicapé·es, des orientations et des notifications distribuées inégalement. Cette dynamique est venue pointer les tensions d’une offre orchestrée et promue au niveau régional, mais qui dépend d’une compensation du handicap régulée différemment dans chaque département.
La conciliation entre les temps d’instruction des demandes et les temps de démarrage des formations a elle aussi été complexe. Un·e stagiaire sur deux avait commencé sa formation sans avoir de notification lui ouvrant dûment le droit au DFA. Plusieurs de ces personnes n’ont ainsi pas été soutenues lors des tests de positionnement, voire ont entamé leur parcours de formation sans accompagnement. Le dispositif est par conséquent régulièrement intervenu en cours de formation pour des stagiaires rencontrant des difficultés, devenant alors correctif, et non préventif comme dans sa philosophie initiale.
Au cours des premières années de déploiement du DFA, les professionnel·les (coordinateur·trices du dispositif et référentes parcours) ont multiplié les activités de communication auprès des partenaires en vue de trouver des terrains d’entente. Elles se sont acculturées aux critères d’éligibilité de chaque MDPH (différents d’une orientation traditionnelle en ESRP). Des ajustements sont régulièrement opérés afin de lever certains désaccords. Cette politique continue d’évoluer par co-construction, ce qui, selon les acteurs, vient d’ailleurs nuancer le nombre relativement peu conséquent de personnes accompagnées depuis le lancement du DFA.
Une individualisation pédagogique inachevée malgré des sollicitations plus fréquentes
Les organismes de formation de droit commun ont dans un premier temps perçu le DFA de façon ambivalente, d’autant plus qu’ils revendiquaient déjà une expérience notable dans l’accueil de stagiaires handicapé·es. C’est particulièrement le cas pour ceux proposant une offre de formation tertiaire, et notamment en secrétariat. Parallèlement, le conseil régional de Normandie a mis en place des politiques de sensibilisation au handicap destinées à faire évoluer les pratiques. De plus, le référentiel Qualiopi (suite à la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018) a participé à mettre cette question à leurs agendas, notamment avec la nomination obligatoire d’un·e référent·e handicap.
D’un point de vue pédagogique, les aménagements proposés dans le cadre du DFA sont cependant souvent restés cantonnés à des modalités classiques, telles que la formation ouverte à distance (FOAD)***, permettant d’offrir aux stagiaires moins de déplacements et plus de liberté pour la prise de rendez-vous médicaux. La FOAD apparait comme la méthode la moins coûteuse sur le plan des ressources humaines et des contraintes matérielles. Du fait d’un volontarisme incarné par certain·es professionnel·es, des organismes de formation de taille réduite ont montré des exemples marquants de compensation du handicap (aménagements temporels spécifiques, suivi individualisé sur la progression pédagogique), mais cela s’est avéré rare. Finalement, la formation « accompagnée » n’a pas toujours été une formation pleinement « adaptée » aux besoins des stagiaires handicapé·es, malgré les tentatives de remédiation des référentes parcours.
La question de la mise en lumière de l’accompagnement médico-social des professionnel·les des ESRP se pose. En effet, les contacts entre les référentes parcours et les stagiaires se déroulant majoritairement en dehors des temps de formation [5], cet accompagnement « hors les murs » des ESRP n’est pas observable « dans les murs » des organismes de formation de droit commun. Cette invisibilisation représente un risque de non-(re)connaissance, de la part des organismes de formation, de l’ensemble des besoins des stagiaires et de l’intensité de l’accompagnement délivré par les ESRP. La professionnalisation des organismes de formation à l’individualisation des parcours des stagiaires handicapé·es était un objectif du DFA qui n’a ainsi été que partiellement accompli. Si le dispositif a d’abord semblé avoir du mal à trouver sa place dans le champ de la formation professionnelle, il a néanmoins été de plus en plus sollicité par certains organismes au fur et à mesure des années, notamment lorsque des situations de quasi-rupture étaient identifiées parmi leurs stagiaires.
***Notons un recours à la FOAD imposé par la Région, à raison de 10 % sur l’ensemble des filières et 20 % sur les filières tertiaires et numériques.
Conclusion
En Normandie, le nombre d’usagers et d’usagères du dispositif Formation Accompagnée s’accroit progressivement, tandis que ses porteurs continuent de faire évoluer son ingénierie (démarrage de l’accompagnement possible en cours de formation, ouverture vers d’autres publics, etc.). Pas à pas, cas après cas, les professionel·les des ESRP tentent de concilier les positions, savoir-faire et temporalités des différents partenaires qui prennent part à la construction des parcours de formation des stagiaires. Que ce soit entre les départements ou entre les deux ESRP de la région, les contours et publics du DFA ne paraissent pas être tout à fait les mêmes. Cela renforce les discours « positifs » sur la nature polymorphe du dispositif, mais peut troubler sa perception chez les partenaires prescripteurs.
En réponse au questionnaire du Céreq, un ESRP français sur trois déclarait en 2022 proposer déjà un accompagnement hors les murs de stagiaires formé·es dans le droit commun. Un sur deux annonçait être en cours de réflexion ou de mise en place d’un tel dispositif. Avec cette troisième voie d’accès à la formation professionnelle, comment le secteur spécialisé peut-il faire valoir ses apports spécifiques auprès du droit commun ? En considérant les réussites et écueils rencontrés par leurs précurseurs normands, les ESRP pourraient davantage affirmer leurs deux expertises « historiques » : l’ingénierie pédagogique et l’intervention médico-sociale. Ces savoir-faire propres leur permettraient de co-construire, avec les organismes de droit commun, une individualisation des parcours de formation des stagiaires handicapé·es, et de les accompagner dans leurs apprentissages.
Pour cela, des ponts restent à établir entre les acteurs de deux mondes qui se connaissent peu, alors même qu’à l’origine du dispositif, ils partageaient les mêmes locaux à l’AFPA de Caen. En quoi les référentes parcours du secteur spécialisé et les référent·es handicap des organismes de formation, potentiel·les médiateur·trices entre le secteur spécialisé et le droit commun, pourraient ici contribuer à ce rapprochement ?
Pour en savoir plus
[1] V. Bellamy (synth.), Le handicap en chiffres, Panorama de la DREES, 2023.
[2] A. Revillard, Handicap et travail, Presses de Sciences Po, 2019.
[3] FAGERH, Observatoire 2022 de la réadaptation professionnelle, Document d’études.
[4] M. Segon (dir), J. Bas, C. Galli, L. Gayraud, M. Goffart, G. Leclerc, Évaluation qualitative du dispositif « Formation Accompagnée », Rapport d’études, Dares, 2023.
[5] Segon, M., Bas, J., « Prédire l’activité, éprouver le métier. Des " référentes parcours " dans l’accompagnement de stagiaires reconnu·es handicapé·es en formation professionnelle », dans A. Gonnet, L. Lima, P. Carloni, L. Le Gros, M. Matus, C. Tuchszirer (dir.), L'accompagnement des transitions professionnelles : un monde en soi ?, Buenos Aires, Teseo/SDL, 2023.
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Citer cette publication
Bas Jérôme, Galli Catherine, Gayraud Laure, Segon Michaël , Vers un accompagnement « inclusif » des adultes handicapé·es dans la formation professionnelle ?, Céreq Bref, n° 444, 2023, 4 p.https://www.cereq.fr/accompagnement-adultes-handicap-formation